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mercredi 6 février 2013

Les orages sont beaucoup plus actifs qu’on ne le pensait. Outre les éclairs, des émissions variées se produisent... au-dessus des nuages.

Une nuit de 1989, une caméra testée par l’équipe de John Winckler, de l’Université du Minnesota, aux États-Unis, enregistre un mystérieux flash lumineux à haute altitude dans l’atmosphère, au-dessus d’un orage. L’idée que ce flash puisse être produit par l’orage entraîne un nouvel examen d’images d’orages prises depuis la navette spatiale américaine : plusieurs montrent des flashs lumineux similaires, surgissant au sommet des nuages illuminés par les éclairs. En 1993, une caméra embarquée à bord d’un avion par l’équipe de Davis Sentman, de l’Université d’Alaska, prend la première photo en couleurs d’un « sylphe » rouge (sprite en anglais, nom donné par D. Sentman pour évoquer l’étrangeté du phénomène sans suggérer de mécanisme physique a priori) – un jet de lumière rouge qui s’étend du sommet des nuages à la base de l’ionosphère, à une centaine de kilomètres d’altitude. Cette découverte marque le début d’une chasse internationale aux sylphes, mettant en oeuvre de nombreuses expériences dans les différentes parties du monde. La chasse s’est révélée fructueuse. En une dizaine d’années, les émissions lumineuses variées détectées au-dessus des zones orageuses – rassemblées sous le nom d’événements lumineux transitoires (TLE) – ont modifié notablement notre compréhension des orages atmosphériques et des échanges énergétiques transitoires entre les couches atmosphériques. Par ailleurs, des satellites d’astronomie ont mesuré des émissions de rayons gamma – des flashs gamma d’origine terrestre (TGF) – atteignant 30 mégaélectronvolts, soit des énergies comparables à celles des émissions gamma d’origine solaire. De telles énergies, qui n’étaient pas attendues dans l’atmosphère terrestre, ont bouleversé notre compréhension des orages atmosphériques. À partir de 2007, les mesures du satellite AGILE ont même révélé de nombreux photons à des énergies atteignant 100 mégaélectronvolts – une énergie qui remet en cause les mécanismes envisagés jusqu’alors. Que sont les événements lumineux transitoires et les flashs gamma d’origine terrestre ? Comment sont produites ces émissions ? Que nous enseignent-elles sur les échanges d’énergie dans l’atmosphère supérieure? Telles sont les questions que nous allons examiner ici. Jusqu’en 1989, on pensait que les seules manifestations lumineuses des orages étaient les éclairs, des décharges électriques se produisant entre deux nuages ou entre un nuage et le sol, selon un mécanisme qui commence à être bien compris: la base du nuage orageux se charge négativement, tandis que, par influence électrostatique, des charges positives s’accumulent au sol. La base du nuage et le sol constituent ainsi un condensateur géant. Par le jeu des instabilités atmosphériques, les charges à la base du nuage peuvent former, en se déplaçant, des champs électriques supérieurs au seuil de claquage de l’air, le champ au-delà duquel l’air perd ses propriétés isolantes et devient conducteur. L’air peut alors s’ioniser et une décharge s’amorce, formant un canal d’air ionisé. Lorsque celui-ci atteint le sol, une impulsion de courant le parcourt, échauffant l’air jusqu’à 30000 °C, ce qui produit la lumière de l’éclair. Les premières observations de sylphes ont suscité un élan extraordinaire de la communauté scientifique internationale. Il est vite apparu que des caméras placées dans les zones montagneuses pouvaient enregistrer les sylphes à des distances de plusieurs centaines de kilomètres au-dessus des zones orageuses pendant la nuit. De nombreux sylphes et d’autres phénomènes lumineux ont été observés par l’équipe américaine de Walter Lyons, qui effectuait chaque année des campagnes d’observation des orages dans les hautes plaines du Colorado. D’autres observations effectuées au Japon, en Australie, au Brésil, en Chine ont montré que ces phénomènes se produisent au-dessus de la plupart des systèmes orageux de grande taille et sont plus fréquents qu’on ne l’avait imaginé. Ainsi, plus de 400 sylphes en une nuit ont été observés au-dessus d’un orage en Argentine. En 2000, nous avons effectué les premières observations en Europe à partir du pic du Midi. Plus récemment, des observations ont été faites depuis le Massif central, les montagnes corses, l’Italie, l’Espagne et plusieurs pays d’Europe centrale. Ces observations ont mis en évidence une variété importante de phénomènes lumineux au-dessus des orages. Les sylphes durent quelques millisecondes et s’étendent de 30 kilomètres au dessus des nuages jusqu’à 90 kilomètres d’altitude environ. Ils apparaissent souvent en groupes. Certains ont une forme de carotte : un halo diffus, entre 70 et 85 kilomètres d’altitude, s’étend latéralement sur une distance de l’ordre de 40 à 70 kilomètres et se prolonge vers le bas par des structures en filaments. D’autres forment des colonnes qui semblent parfois se grouper en cercles. Les sylphes apparaissent généralement après les éclairs dits positifs – des éclairs qui, en fin d’orage, conduisent vers le sol des charges positives. Les halos peuvent aussi apparaître seuls. Les sylphes ne sont pas seulement lumineux. Notre équipe a montré en reliant des enregistrements acoustiques à des images de sylphes que ces derniers s’accompagnent d’ondes acoustiques de basses fréquences – des infrasons –, parfois pendant plusieurs dizaines de secondes. Très longs par rapport à la durée d’émission lumineuse des sylphes (quelques millisecondes), ces temps correspondent à celui que met le son pour parcourir l’étendue horizontale des sylphes (la vitesse du son est d’environ 330 mètres par seconde). Ces infrasons sont plus longs que les sons émis par les éclairs, qui ne durent que quelques secondes. Ils sont cependant produits selon le même principe: tout le long de la décharge qui forme les filaments des sylphes, l’air s’échauffe (de un ou deux degrés seulement, mais dans un volume énorme – une dizaine de milliers de kilomètres cubes) et, par conséquent, se dilate, ce qui produit des ondes de choc. Nous avons détecté les infrasons des sylphes jusqu’à des distances de l’ordre de 1 000 kilomètres, tandis que les sons produits par les éclairs (le tonnerre), de fréquences supérieures, ne sont audibles que jusqu’à 50 kilomètres environ.
D’autres phénomènes lumineux ont été observés à diverses altitudes. Les elfes sont des disques lumineux qui s’étendent horizontalement sur plusieurs centaines de kilomètres à des altitudes de l’ordre de 90 kilomètres et à une vitesse proche de celle de la lumière. Plus nombreux que les sylphes, les elfes apparaissent après tous les types d’éclairs. Ils éclairent moins d’une milliseconde. Les jets bleus surgissent au sommet des nuages sous la forme de cônes étroits durant environ 100 millisecondes. La plupart s’arrêtent à 40 kilomètres d’altitude environ, mais certains jets, dits géants, forment une connexion électrique directe entre le nuage de l’orage et la base de l’ionosphère.Toutes ces émissions n’agissent pas de la même façon sur l’atmosphère, ce qui renseigne sur leurs propriétés énergétiques : les filaments des sylphes et les jets géants échauffent, voire ionisent l’atmosphère qu’ils traversent, les elfes ionisent, la base de l’ionosphère lors de leur formation, tandis que les halos restent sans effet. Ces derniers sont donc des émissions lumineuses moins énergétiques. Les sylphes, les jets et les elfes sont les structures les plus fréquemment observées – et les plus faciles à voir, car elles sont suffisamment éloignées des nuages orageux pour ne pas être masquées par la lumière des éclairs. Des systèmes semi-automatiques peuvent ainsi en enregistrer à plusieurs centaines de kilomètres à l’horizon. Toutefois, il existe aussi d’autres émissions de plus petite taille dans la partie inférieure des filaments des sylphes et au sommet des nuages. Nommées gnomes, trolls ou lutins, ces émissions ne peuvent faire l’objet d’une observation systématique du fait de leur proximité des orages. En analysant les caractéristiques des différentes émissions (altitude, durée, spectre, forme, etc.), diverses équipes, dont la nôtre, commencent à élucider certains mécanismes intervenant dans leur formation. Les elfes font partie des phénomènes les mieux compris. Ils se produisent après tous les éclairs dépassant un certain seuil énergétique. Ces éclairs engendrent une impulsion électromagnétique très intense qui se propage jusqu’à l’ionosphère et chauffe les électrons ambiants de l’ionosphère inférieure. Accélérés par ce chauffage, les électrons acquièrent une énergie cinétique suffisante pour interagir avec les molécules de l’air, ce qui produit une émission lumineuse et une ionisation locale de l’atmosphère : chaque molécule d’air ionisée produit un ou deux électrons, qui ionisent à leur tour les molécules d’air voisines, etc. Cette ionisation locale de l’atmosphère persiste pendant plusieurs dizaines de secondes. La forme des elfes – un disque de lumière qui s’élargit – est sans doute due au fait que, les molécules d’air se raréfiant dans les couches supérieures de l’ionosphère, les réactions de proche en proche entre les électrons et les molécules de l’air restent principalement cantonnées dans la couche inférieure de l’ionosphère. Les jets s’expliquent seulement par la présence des champs électrostatiques de l’orage. Les jets géants peuvent être comparés à des décharges reliant directement le nuage et l’ionosphère au lieu du sol comme on le voit pour un éclair classique. Les sylphes, quant à eux, ne se produisent qu’après les éclairs positifs. Ces éclairs apparaissent à la fin de gros orages : partant de la région supérieure du nuage, chargée positivement, des particules positives sont attirées par une région du sol chargée négativement. Après un éclair positif, des charges négatives persistent dans le nuage. Ces charges produisent un champ électrique transitoire à des altitudes supérieures à celle du nuage. Ce champ électrique pourrait être responsable de l’apparition des halos, la partie supérieure des sylphes. Voyons comment. Lorsque le champ électrique des orages pénètre dans les couches supérieures de l’atmosphère, il diminue avec l’altitude, mais moins vite que le seuil de claquage de l’air. Ainsi, à une certaine altitude (environ 70 kilomètres) qui dépend de divers facteurs, notamment l’humidité de l’air, le champ électrique engendré par l’orage dépasse le seuil de claquage de l’air. L’air à cette altitude devient conducteur, et le champ électrique de l’orage y produit des courants qui l’échauffent – des décharges –, entraînant des émissions lumineuses. Pour la majorité des sylphes, on a ainsi mesuré des variations du moment de charge (une grandeur qui rend compte à la fois de la charge neutralisée dans le nuage et de la hauteur de la décharge) supérieures à 300 coulombs.kilomètres, que l’on ne rencontre que pour les éclairs les plus puissants. Ces courants confirment que la formation des sylphes est liée à des modifications importantes de la conductivité dans l’atmosphère moyenne et supérieure. Les sylphes sont souvent observés plusieurs dizaines de millisecondes après l’éclair positif, car il s’effectue souvent un transfert de charges sur des distances importantes à l’intérieur du nuage. Les sylphes sont ainsi la plupart du temps décalés latéralement de plusieurs kilomètres de l’éclair positif qui les a déclenchés. Dès les années 1920, le physicien écossais et prix Nobel Charles Wilson avait prédit que les électrons pouvaient être suffisamment accélérés au-dessus des orages pour dépasser le seuil de claquage de l’air et provoquer de tels phénomènes. Toutefois, aux altitudes inférieures à 70 kilomètres, notamment aux altitudes des nuages (4-15 kilomètres), c’est loin d’être le cas. Les champs électriques ne sont pas suffisants pour atteindre le seuil de claquage conventionnel. Par exemple, les champs électriques mesurés par ballon dans les nuages par Robert Marshall, de l’Université Stanford aux États-Unis, atteignent 100 à 200 kilovolts par mètre alors que le seuil de claquage conventionnel dépasse un mégavolt par mètre à l’altitude des nuages. Comment, alors, expliquer la partie inférieure des sylphes ? En 1996, Robert Roussel-Dupré, du Laboratoire de Los Alamos, aux États- Unis, et Alexander Gurevich, de l’Institut de physique de Moscou, ont proposé d’expliquer ces phénomènes par une avalanche d’électrons dits relativistes, c’est-à-dire très énergétiques. Au-dessus d’un seuil de l’ordre de 100 kiloélectronvolts, les électrons gagnent plus d’énergie via le champ électrique des orages qu’ils n’en perdent par interaction avec l’air. Ces électrons sont alors accélérés vers le haut par le champ électrique intense de l’orage. Ils arrachent des électrons aux molécules d’air, qui eux-mêmes sont accélérés, entrent en interaction avec d’autres molécules d’air et produisent une avalanche d’électrons de haute énergie. Pour provoquer la formation de décharges, ce mécanisme nécessite un champ électrique dix fois moins intense que le seuil de claquage de l’air sec – une valeur compatible avec celle des champs mesurés lors des orages – à condition que des électrons atteignent des énergies suffisantes pour déclencher l’avalanche! En fait, un seul électron de haute énergie est suffisant pour amorcer ce mécanisme. Un tel électron pourrait être produit par la collision d’un rayon cosmique avec les molécules de l’air. Ces particules de haute énergie, provenant notamment du Soleil, bombardent en permanence l’atmosphère terrestre. Par ailleurs, la théorie montre qu’une telle avalanche d’électrons ne s’arrête pas dans l’atmosphère supérieure. Les électrons sont accélérés vers le haut jusqu’à l’ionosphère et la magnétosphère, où ils se propagent en suivant les lignes du champ magnétique terrestre. Ils peuvent ainsi se propager jusqu’au point magnétique conjugué de celui de l’orage (l’autre bout de la ligne du champ magnétique), situé dans l’autre hémisphère de la Terre. De fait, on détecte parfois des émissions au point magnétique conjugué des orages (nous y reviendrons). Ce mécanisme n’est pas restreint à l’atmosphère terrestre; il pourrait se produire sur d’autres planètes. Les structures lumineuses transitoires en forme de lignes droites parfois observées dans les anneaux de Saturne pourraient être dues à de telles avalanches, déclenchées lorsque les anneaux sont magnétiquement liés aux zones orageuses. Une autre planète candidate est Jupiter, où des émissions radio produites par les éclairs ont été détectées ainsi que des flashs lumineux. Aujourd’hui, des observations plus précises des sylphes à l’aide de caméras ultrarapides permettent de préciser ce modèle. En 2007, les séquences enregistrées à la cadence de 10000 images par seconde par l’équipe de Hans Stenbaeck Nielsen, de l’Université d’Alaska, ont montré que les sylphes sont engendrés par des structures complexes qui se forment à 75 kilomètres environ. Des perles lumineuses apparaissent et tombent à une vitesse de 10 000 kilomètres par seconde, laissant chacune une traînée lumineuse – un filament vertical qui se développe vers le bas. Ces structures sont suivies d’autres filaments partant vers le haut et dont la forme est plus diffuse. Ces perles sont la manifestation d’une ionisation plus intense à la tête des filaments. Quand on cumule ces images afin de revenir à la cadence vidéo plus lente des premières observations, on retrouve la partie supérieure diffuse et les filaments qui en émergent vers le bas en donnant aux sylphes la forme de carottes. Ces filaments sont des canaux de plasma, c’est-à-dire de gaz ionisé, qui se propagent dans l’atmosphère non ionisée sous l’effet des champs électriques intenses produits par l’éclair parent. Le champ électrique à leur tête s’intensifie, comme cela peut être obtenu dans les décharges en laboratoire. Ils peuvent alors produire des branches formant la structure des sylphes. Pour le moment, aucune théorie n’est capable d’expliquer la diversité des phénomènes lumineux. La théorie de l’avalanche, notamment, n’explique pas la formation de filaments vers le bas. Néanmoins, elle fournit des explications tout à fait plausibles d’autres phénomènes, telles certaines émissions radio détectées jusqu’à des distances de plusieurs centaines de kilomètres de la zone orageuse ou, nous allons le voir, l’émission de certains flashs gamma d’origine terrestre. Les flashs gamma d’origine terrestre ont été détectés par hasard en 1994, par un satellite dédié à la mesure des rayons gamma dans l’espace, le satellite CGRO (Compton Gamma-Ray Observatory). À l’époque, seuls 76 événements de ce type ont été mesurés pendant les neuf ans de la mission, mais l’enregistrement des flashs gamma d’origine terrestre n’était pas l’objectif premier du module expérimental du satellite, l’instrument BATSE (Burst and Transient Source Experiment). Lancé en 2002, le satellite RHESSI (Reuven Ramaty High Energy Solar Spectroscopic Imager), destiné à des observations solaires, en a détecté beaucoup plus : il a mesuré 10 à 20 flashs gamma d’origine terrestre par mois. Leur spectre en énergie peut atteindre 30 mégaélectronvolts. À leur découverte, les flashs gamma d’origine terrestre ont été naturellement reliés aux événements lumineux transitoires et il a été suggéré que les rayons gamma pourraient résulter de l’interaction, avec l’atmosphère, de particules de haute énergie de l’avalanche invoquée pour expliquer les sylphes. Cependant, plusieurs énigmes subsistaient. Tout d’abord, l’altitude à laquelle les flashs gamma d’origine terrestre se produisent reste mystérieuse. Plusieurs études du spectre énergétique des flashs gamma d’origine terrestre enregistrés par le satellite RHESSI, complétées de simulations, ont suggéré qu’ils avaient été produits dans la partie supérieure des nuages, soit à des altitudes inférieures à 20 kilomètres environ, et non à l’altitude où apparaissent les sylphes. En effet, les basses énergies du spectre des flashs gamma d’origine terrestre sont atténuées, signe qu’elles ont été absorbées avant leur détection par le satellite, c’est-à-dire lors de leur passage dans l’atmosphère (à l’inverse, les basses énergies de rayons gamma émis à une altitude supérieure à 20 ou 30 kilomètres ne seraient pas atténuées, l’atmosphère étant plus ténue). Les flashs gamma d’origine terrestre pourraient donc être produits par les éclairs et les décharges qui surviennent au sommet ou au-dessus des nuages plutôt que par les sylphes eux-mêmes. Ce que corrobore une expérience réalisée par l’équipe de Joseph Dwyer, de l’Institut de technologie de Floride: les physiciens ont produit des flashs gamma en déclenchant artificiellement des éclairs. Le mécanisme de l’avalanche pourrait expliquer la formation de tels flashs gamma au sommet des nuages. Les observations confirment également qu’il se produit des effets au point magnétique conjugué des orages – un des effets attendus avec le modèle de l’avalanche. Un flash gamma d’origine terrestre a été observé par le satellite RHESSI au-dessus du Sahara. Ce flash gamma – le plus long et le plus intense jamais détecté – a été observé alors qu’il n’y avait pas d’orage au Sahara, mais qu’un orage se produisait… au point magnétique conjugué. Des électrons se seraient propagés le long des lignes du champ magnétique et auraient frappé le satellite. Une nouvelle analyse des données de RHESSI a révélé d’autres événements de ce type, et plusieurs flashs gamma d’origine terrestre observés par le satellite CGROpourraient aussi entrer dans cette catégorie. Il existerait ainsi deux classes de flashs gamma d’origine terrestre : les premiers, brefs et nombreux, seraient directement émis au-dessus des orages (par les éclairs ou par les sylphes) tandis que les seconds, plus longs et plus intenses, seraient produits par des électrons qui se seraient propagés le long des lignes du champ magnétique terrestre. Et pour brouiller encore les pistes, des observations au sol effectuées lors des orages japonais d’hiver ont révélé que des émissions gamma ont été produites à la base des nuages orageux pendant plusieurs dizaines de secondes sans qu’il n’y ait eu d’éclair préalable. Les simulations indiquent que le mécanisme d’avalanche serait la cause de ces émissions. Et ce n’est pas tout ! En janvier 2011, le satellite italien AGILE a détecté, lors de certains flashs gamma d’origine terrestre, des énergies atteignant 100 mégaélectronvolts – des énergies trop hautes pour être expliquées par le modèle d’avalanche d’électrons. Comment ces rayons gamma apparaissent-ils? Les récentes simulations de Victor Pasko, de l’Université de Pennsylvanie, fournissent une nouvelle explication. Le physicien a montré qu’il se produit des accélérations très importantes d’électrons à la tête des filaments qui forment la structure des sylphes. Ces électrons auraient une énergie cinétique suffisante (ils peuvent être accélérés jusqu’à des énergies de l’ordre de dix mégaélectronvolts)pour déclencher des flashs gamma de haute énergie. De tels processus pourraient être des sources alternatives des flashs gamma d’origine terrestre observés pendant les orages, qu’ils soient déclenchés dans les filaments ionisés des sylphes ou dans les éclairs. Reste à le vérifier… et à comprendre comment des électrons atteignent de telles énergies. Enfin, toujours en janvier 2011, le télescope spatial de rayonnement gamma Fermi a détecté des flashs gamma d’origine terrestre de 511 kiloélectronvolts – une énergie qui correspond très exactement à celle des photons produits lors de la collision et l’annihilation d’un électron et de son antiparticule, le positron. Cette découverte suggère que les orages engendrent la formation… d’antiparticules. L’avalanche d’électrons émet tellement de flashs gamma lors des collisions avec les molécules de l’air que suffisamment de paires électron-positron sont produites lors de l’interaction des rayons gamma avec les molécules de l’air pour que leur signature – le rayon gamma fruit de leur annihilation – soit détectée par le satellite. Jusqu’à présent, tant pour l’étude des événements lumineux transitoires que pour celle des flashs gamma d’origine terrestre, on s’est contenté de données partielles – des observations d’un aspect particulier, parfois au détour d’une expérience visant d’autres objectifs. Pour mieux comprendre les mécanismes en jeu, notre équipe a proposé, dès 1998, d’effectuer des observations simultanées, depuis l’espace, de l’ensemble des émissions, ce qui représente un défi, car, vus de l’espace, les sylphes se superposent aux éclairs d’orage qui saturent les caméras. La première expérience d’observation de sylphes par satellite, lancée en 2004 pour cinq ans, était limitée à des observations optiques à l’horizon. Placée à bord du satellite taïwanais FORMOSAT 2, ISUAL a détecté de nombreux elfes, sylphes, halos et jets géants, dont la distribution géographique a été établie.
Les elfes ont été principalement observés au-dessus des océans dont la température dépasse 26 °C, alors que les sylphes se produisent plutôt audessus des continents. La formation des elfes serait favorisée par la température élevée de certaines zones océaniques: cette température provoque des phénomènes de convection verticale qui favorisent les éclairs intenses, lesquels entraînent à leur tour la formation des elfes. Le projet TARANIS du programme Myriade du CNES, proposé par des équipes du CNRS et la nôtre, a pour objectif la mesure simultanée des flashs gamma d’origine terrestre, des événements lumineux transitoires, des émissions radio et des électrons de haute énergie à partir du même microsatellite. Nous pourrons ainsi, d’une part, décrire les mécanismes de déclenchement et, d’autre part, déterminer leur fréquence et leur impact sur l’environnement terrestre. Ces mesures doivent être effectuées depuis l’espace, car l’atténuation des flashs gamma d’origine terrestre dans l’atmosphère les rend difficilement observables du sol. Pour surmonter la difficulté d’observer les sylphes au-dessus des orages, nous avons proposé d’utiliser deux caméras, filmant l’une les éclairs à une fréquence correspondant à une raie d’émission des éclairs et l’autre les sylphes à une fréquence correspondant à une raie d’émission des sylphes. Il n’est pas possible de séparer les raies d’émission des sylphes et des éclairs, car elles sont produites par les mêmes molécules (l’azote et l’oxygène de l’atmosphère). Néanmoins, on peut les distinguer en observant les sylphes dans une raie d’émission (environ 762 nanomètres) correspondant à une bande d’absorption de l’atmosphère due au dioxygène. Dans cette raie, les émissions des éclairs sont davantage absorbées que celles des sylphes qui se produisent à plus haute altitude (où il y a moins d’oxygène).
En utilisant deux caméras, l’une qui se trouve dans cette bande et une autre qui privilégie les éclairs, il est possible de séparer, par traitement au sol, la réponse des sylphes de celle des éclairs. Ce procédé a été validé par l’expérience LSO (Lightning and Sprite Observations), pilotée dans les années 2001 à 2004 par Claudie Haigneré et d’autres astronautes de l’Agence spatiale européenne sur la Station spatiale internationale. Actuellement en construction, le satellite TARANIS doit être lancé en 2015. Sa charge utile inclut des instruments optiques, des détecteurs d’électrons de haute énergie, des antennes électriques et magnétiques couvrant une gamme de fréquences très étendue et trois détecteurs de rayons X et gamma. Bénéficiant d’un mode d’observation des événements transitoires à haute résolution et d’un mode de surveillance fonctionnant en continu, TARANIS pourra caractériser l’ensemble des phénomènes à toutes les échelles temporelles possibles. D’autres projets spatiaux, également en phase de construction, ont des objectifs similaires : le projet ASIM vise à observer les flashs gamma d’origine terrestre et les événements lumineux transitoires sur la Station spatiale internationale en liaison avec les paramètres climatiques, tandis que le projet GLIMS, également depuis la Station spatiale internationale, dispose de dispositifs optiques pour observer les événements lumineux transitoires tout en mesurant simultanément des émissions radio de très haute fréquence. Les prochaines années devraient ainsi fournir les observations nécessaires pour mieux comprendre ces aspects nouveaux de l’activité orageuse, ainsi que l’effet de ces émissions variées sur l’environnement.